mardi 5 août 2014

Tragique... Mapuche... Caryl Férey

Tragique, du latin d'origine grecque :
Qui est propre à la tragédie, qui évoque une situation où l'homme prend douloureusement conscience d'un destin ou d'une fatalité qui pèse sur sa vie, sa nature ou sa condition même.

Quel autre mot pourrait exprimer mieux l'intense sidération qui clôt la lecture de ce livre.

En toile de fond, les années soixante-dix.
L'avènement de la dictature en Argentine et de sa machine à broyer sous le silence assourdissant de la communauté internationale.
La répression, la peur, les disparitions, les enfants volés, l'amnistie des militaires, les folles de la Plaza de Mayo, mères enragées déterminées à faire sortir leurs morts de l'oubli.
Au cœur de cette folie meurtrière, une histoire singulière dans le Buenos Aires d'aujourd'hui.
Elle, jeune- femme Mapuche, Indienne issue d'une tribu ancestrale de la pampa du Chubut, persécutée avec les siens par les blancs, voleurs de terre.
Lui, rescapé des geôles de Videla, ayant vécu l'innommable, libéré pour témoigner, pour propager le désespoir et affaiblir les folles.
Ces deux là vont naviguer entre un passé abject et un présent noir peuplé de fantômes et de morts vivants.
Malgré les efforts de l'écrivain pour sortir de cette nuit sans fin, et nous mener vers un happy end un peu convenu, rien ne sauve du malheur.
La romance suinte le sang, la violence et le désespoir inconsolable.
Tragique et triste livre, très bien écrit, extrêmement documenté et puissant.
Un livre qui ne vous détend pas, ne vous lâche pas et vous glace.

Extrait :
La "tumba" : un ragoût d'eau grasse à l'odeur de boyaux où des morceaux de viande bouillie surnageaient du désastre, le pain qu'on y trempait avec l'appréhension de la boue, et les yeux qu'il fallait fermer pour avaler... Indigestion du monde, poésie des affamés.
La poésie, parlons-en_ou plutôt n'en parlons plus. Quand on a faim, l'existence n'a plus l'heure, c'est une vie figée dans la cire, le vaisseau derelict écrasé par les glaces, des visages sans regard qui dodelinent précisément, comme les ours s'arrangent de la cage, des yeux bandés qui ne trichent plus ou si peu, les barreaux qu'on inflige et puis les gargouillis, le ventre qui se tord sous les coup du vide et tant de choses encore qu'il faut te dire, petite sœur...

Caryl Férey