lundi 5 octobre 2015

Saisissant...Le fils de Sam Green - Sybille Grimbert


Saisissant : Du latin "sacire", qui frappe vivement, qui surprend.

Inspiré de l'affaire Madoff, ce roman attrapé prestement sur un présentoir de grande surface, devait avant tout répondre à une impérieuse nécessité de me changer les idées.
Besoin de légèreté qui serait, pensais-je, médiocrement mais efficacement comblé par quelques anecdotes croustillantes sur l'escroquerie du siècle.

Miracle ! Dès les premières pages, ce ne sont, ni la caricature de la haute société s'essayant aux mirages de la gestion de fortune, ni le voyeurisme attendu sur les dessous de "l'affaire" qui m'ont été proposés à la lecture.
En creux, un propos resserré, à la première personne, déroulant le monologue intérieur du fils de l'escroc, saisissant d'intelligence et d'épaisseur.

Dans la tête du fils honni, le fil d'une vie est analysé sous le prisme du mensonge et passé au crible d'une revue de détail aussi impitoyable qu'humiliante.

A t-on encore une identité, quand la filiation est prise en otage par un père usurpateur?
Est-on complice, quand on a été, à peine à son propre insu, consentant?
Peut-on encore prétendre à la rédemption, une fois le douloureux examen fait et la coupe bue jusqu'à la lie?

Questions existentielles que posent ce livre magistralement écrit et profondément inspiré.

Extraits

- A quoi cela lui aurait-il servi de gagner tant d'argent pour se créer une vie impossible à supporter, dans la peau de quelqu'un qui n'était pas lui ? Ne sommes-nous pas tous ainsi, voulant rester nous-mêmes mais en plus riches, en plus amoureux, en plus jeunes, en plus attrayants?

- C'est incroyable, mais je crois que de voir un étranger formuler des soupçons que j'avais eus m'humiliait, un peu comme lorsque quelqu'un se met à expliquer avec brio quelque chose que vous saviez avant lui, sauf que par flemme vous n'avez rien dit du prodigieux diagnostic que vous aviez fait le premier, si bien que vous êtes coupable et dépossédé en même temps.

- Peut-on être le seul à savoir faire quelque chose ? Ce qu'on a compris, d'autres ne peuvent-ils pas le comprendre?

- En fait, il faudrait que je me tue. Cette idée, ces derniers temps, me traverse souvent, mais elle est beaucoup plus difficile à exécuter que je ne le croyais. Le sentiment d'avoir été spolié de ce que j'aurais pu être si j'avais simplement connu la vérité me retient. Quand je réfléchis à la façon de m'y prendre, les objets que je m'imagine tenir en main, une corde, des médicaments, un revolver, me paraissent entrer en action sur un autre que moi.
Dès que je tente de me la représenter, la mort infligée à un être inconnu, encore dans les limbes, un être que j'aurais pu faire advenir sur cette terre et auquel je n'ai pas donner sa chance. Je ne peux pas tuer un innocent.


vendredi 23 janvier 2015

Immense...Tout ça pour quoi - Lionel Shriver

Immense : Du latin immensus, rad. metiri "mesurer"
Qui n'a ni bornes ni mesure.
Dont l'étendue, les dimensions sont considérables.
Profond.

Extraordinaire livre, universel, dérangeant et profondément humain.

Si l'histoire se déroule en Amérique avec en toile de fonds l'implacable rouleau compresseur du système qui broie les individus lorsque santé, travail, et jeunesse s'en sont allés, elle interroge si bien l'insoutenable absurdité de la condition humaine qu'on oublie vite la référence sociale pour interroger sa propre existence.

Shepp, quinquagénaire sur le point de concrétiser son échappée belle dans "l'Outre-Vie", un aller sans retour dans une île paradisiaque rendu possible par le pactole constitué par la vente de sa société huit ans plutôt, doit déchanter à l'annonce de la maladie de sa femme qui va compromettre, non seulement son projet, mais remettre en question son mode de vie et de relation avec les autres.

Autour de Shepp, merveilleux personnage central,  chacun -soeur, père, femme, enfants, collègues de travail, couple d'amis pris aussi dans la tourmente, va réagir à la situation avec ses ressources, son histoire, à la place qu'il occupe.

Sans pathos, aucun sujet de vie n'est épargné, la vie simplement frustrante et inaboutie quand tout va bien, qui devient dépouillée, précise comme une lame, précieuse quand l'essentiel s'échappe et qu'on l'identifie enfin.

Le livre traite de la maladie qui mène à la mort, de l'enfant mis au monde qui ne vivra pas plus loin que l'adolescence, du couple malmené par les années qui passent, de la solitude ,toujours, mais aussi, de l'espoir qui succède à l'épreuve et de la vie qui triomphe toujours.

Lumineuses pages finales qui lavent la tristesse, sauvent du désespoir et autorisent le lecteur à sortir de l'histoire, grandi.

Extrait :

"Il n'était probablement pas le seul à détester les hôpitaux au point d'avoir envie de fuir lorsqu'il visitait un être aimé. Ce n'était pas seulement les odeurs, ou une horreur instinctive de la maladie. Nous sommes paraît-il tous égaux devant la maladie; le problème, c'est la question de savoir si le nivellement ne se fait pas par le bas. Vêtus des mêmes blouses humiliantes qui s'ouvraient dans le dos, les patients déambulaient dans les couloirs, dépouillés de tout ce qui, au dehors, faisait leur spécificité...
...En passant devant les salles, en voyant de gros tas endormis et des regards vides rivés sur l'écran de télévision, on n'avait pas l'impression que tous étaient également importants, mais qu'ils étaient tous également insignifiants."