dimanche 26 janvier 2014

Fulgurant.... Certaines n'avaient jamais vu la mer - Julie Otsuka


      Un thème universel, le mirage de l'exil ... Au début du XXeme siècle, de jeunes japonaises abandonnent leur pays pour les terres américaines à la rencontre de compatriotes, supposés jeunes et brillants époux, qui les conduiront vers la fortune et la félicité.
Las! Le carrosse se transforme en citrouille,  les princes s'évanouissent sous les oripeaux du mendiant. Le cauchemar commence, notre chœur d'héroïnes découvre la sordide réalité auprès de paysans rustres et déjà usés... Les espoirs d'emblée étouffés, la jeunesse vite fanée dans un labeur sans fin sous le soleil assassin des vallées brûlantes et gorgées de fruits qu'il faudra ramasser.

     Pépite littéraire que ce petit livre, le verbe est extraordinaire de concision, d'évocation et d'émotion contenue. Les minuscules bonheurs qui se glissent dans cette plainte infinie restent de minuscules bonheurs et ne suffisent pas à consoler l'immense tristesse suintant de ces lignes sèches et implacables.

     Au bout du chemin, aux premières détonations qui opposeront le Japon et les États-Unis, la déportation dans des contrées inhospitalières et l'oubli.
     Sans compter Julie Otsuka, l'écorchée, mémoire vive qui fait revivre ce passé et ouvre à ces âmes meurtris, la reconnaissance et le repos, enfin....




Extrait :

Nous avons accouché sous un chênes l'été, par quarante-cinq degrés. Nous avons accouché près d'un poêle à bois dans la pièce unique de notre cabane la plus froide nuit de l'année. Nous avons accouché sur des îles venteuses du Delta, six mois après notre arrivée, nos bébés étaient minuscules, translucide, et ils sont morts au bout de trois jours.
Nous avons accouché neuf mois après avoir débarqué de bébés parfaits, à la tête couverte de cheveux noirs. Nous avons accouché dans des campements poussiéreux, parmi les vignes, à Elk Grove et Florin. Nous avons accouché dans des fermes reculées, avec la seule aide de nos maris, qui avaient tout appris dans Le compagnon de la ménagère. Mettez une casserole d'eau à bouillir...
Nous avons accouché à Rialto, à la lumière d'une lampe à pétrole, sur une vieille couverture de soie
que nous avions apportée du Japon dans notre malle. Elle a encore l'odeur de ma mère.
Nous avons accouché comme Makiyo dans une étable aux abords de Maxwell, allongée sur une épaisse paillasse. Je voulais être près des animaux. Nous avons accouché seules, dans une pommeraie de Sébastopol, après être allées chercher du petit bois par un matin d'automne inhabituellement clément là-haut dans les collines....