lundi 11 novembre 2013

Épopée...Mille femmes blanches - Jim Fergus

Que reste t-il d'un livre lu il y a 12 ans ?
Pourquoi ce titre reste t-il vivant dans ma mémoire, seul, parmi les dizaines qui se sont succédés au long des nuits sans sommeil qui ont précédé la délivrance ... ma fille Daphné naissait quelques jours après.
Quel est ce sentiment que la seule évocation de ce titre fait remonter à la surface, celui d'un accomplissement rare, d'une alchimie unique et mystérieuse entre un livre et son lecteur.
Avais-je tant besoin d'air, de légèreté, de grand vent, confinée dans la claustration de ma chambre?
Mille femmes blanches... Pourquoi cette histoire me parlait - elle autant?

Cette épopée vertigineuse dans le Far West, en cette fin du 19ème siècle, était pourtant loin d'avoir fait l'objet d'un choix rigoureux.
Elle était plus sûrement venue grossir par hasard la pile de romans à mon chevet, soigneusement reconstituée tous les samedis après avoir été dévorée la semaine précédente, tel un phénix renaissant de ses cendres.

Mille femmes blanches, une petite histoire dans la grande, celle de ces femmes blanches condamnées par la société de leur époque parce que , libres, filles mères amoureuses, petites voleuses, qui préférèrent à l'enfermement auquel elles étaient promises, l'impossible marché qu'on leur avait mis entre les mains.
Convoyées tel du bétail vers les contrées indiennes reculées, la mission, pour les survivantes, est de pacifier les régions en guerre en honorant le contrat passé entre le chef Cheyenne Little Wolf et le président des États Unis d'Amérique, Ulysses Grant : mille femmes blanches contre mille chevaux, mille femmes blanches qui en portant dans leurs entrailles les enfants Cheyenne, favoriseront l'assimilation de la nation indienne.
L'utopie ne durera que le temps d'un discours.
Abandonnées à leur sort, les mille femmes blanches connaîtront la désintégration inéluctable du peuple qui les a accueilli, chacune ayant connu avant la fin tragique, une destinée singulière, faite des mille choses de la vie, et donc aussi des bonnes, l'estime, le respect, peut-être l'amour qui sauve tout, et la vie ... plus libre qu'aucune d'entre elle n'aurait pu l'espérer...

Extrait du prologue :
" Les hommes du président apaisèrent leur mauvaise conscience en stipulant que les femmes associées à l'audacieux projet seraient toutes volontaires- mais en quelque sorte vendues par correspondance- et d'autant plus légitimes , morales, qu'elles bénéficieraient de la tutelle de l'église. Le point de vue officiel était que, si des aventurières dévouées et généreuses décidaient de leur plein gré de partir vivre à l'ouest, et que leur arrivée chez les indiens se traduisait par une réduction des belligérances, alors tout le monde serait content; c'était en d'autres termes un parfait exemple de politique jeffersionienne, alliant le principe d'initiative personnelle à la philanthropie.
Le projet "Femmes blanches pour les Indiens" avait son talon d'Achille et l'administration le savait: elle anticipa donc l'éventuelle pénurie de volontaires en allant recruter des femmes dans les prisons et les pénitenciers, auprès des insolvables et dans les asiles de fous.
On leur offrit l'absolution ou la liberté sans condition, sous réserve, bien sûr, de s'enrôler. Le gouvernement avait fini par comprendre au contact des indigènes, qu'il s'agissait de gens terre-à-terre pour lesquels les traités devaient être respectés à la lettre. Si les Cheyennes avaient demandé mille épouses, ils s'attendaient à en recevoir exactement ce nombre - et offriraient en échange mille chevaux, ni plus, ni moins, pour remplir leur part du contrat. Aussi infime fût-il, tout manquement serait susceptible de les renvoyer dare-dare sur le sentier de la guerre. L'administration s'assura donc que cela n'aurait pas lieu-même s'il fallait libérer pour faire le compte quelques criminelles de droit commun ou d'inoffensives arriérées mentales.
Le premier train de femmes blanches en partance pour les grandes plaines du nord, et une vie maritale nouvelle dans la nation Cheyenne, quitta Washington à l'automne suivant, en pleine nuit et dans le secret le plus absolu. C'était au début du mois de mars 1875 - soit un peu plus de six mois après que Little Wolf eut officiellement présenté son étrange requête au président Grant. Les      
semaines suivantes, des convois semblables quittèrent les gares de New-York, Boston, Philadelphie et
Chicago.
Le 23 Mars 1875, une jeune femme répondant au nom de May Dodd fêtait son vingt-cinquième anniversaire. Ancienne patiente de l'asile d'aliénés privé de Lake Forest, situé à cinquante kilomètres au nord de Chicago, elle prit place avec quarante-sept autres volontaires et recrues de la région dans un train de l'Union Pacific à Union Station - à destination de Camp Robinson dans le territoire du
Nebraska...










Chasse, pêche et tradition...Collage - Christèle Aubry