Le 30 Janvier 1922, une petite fille naissait aux Essarts, terres vendéennes de bocage et d'élevage, loin des plages de sable et d'aiguillons rocheux qui ont fait depuis la renommée du département.
Si j'évoque le littoral atlantique qui a toujours exercé sur moi un attrait puissant, c'est par tendresse pour cette petite fille dont on peut imaginer qu'elle passa la première partie de sa vie dans l'ignorance absolue du charme sauvage de cette côte pourtant toute proche. En ce début de siècle, les distances à parcourir à pied ou à vélo rendaient l'océan inaccessible et invisible aux habitants des terres.
Cette petite fille grandit, se maria et eut quatre enfants. Elle se conforma en cela aux exigences de sont temps et de son milieu paysan qui voyait d'abord en tout être du sexe féminin une génitrice potentielle, dévouée à son foyer et consacrée à une vie de labeur pour les siens.
Mais cette petite fille ne fit pas seulement ce que le contrat social attendait tacitement d'elle...Étouffer ses envies et ses désirs, se réaliser à travers les siens.
Cette vie multiple fut sa richesse, et eut aussi son prix, si tant est, qu'aujourd'hui comme hier, il est toujours difficile pour les femmes, voire impossible pour la plupart, de concilier être pour soi et être pour les autres.
Je suis la deuxième des douze petits enfants de cette petite fille.
J' appris un matin d'hiver, par un coup de fil, l'accident cérébral dont elle fut victime. Elle perdit conscience une fin de journée dans sa salle de bains, ayant juste eu le temps d'appeler sa fille aînée pour lui dire les violentes douleurs qu'elle ressentait dans la tête. Elle s'éteignit une semaine plus tard à l'hôpital, n'ayant pas refait surface de cette absence qui l'emporta à l'âge de 83 ans.
À l'occasion du partage des biens, ma mère fut dépositaire d'un classeur vert amande contenant des écrits dactylographiés accumulés par ma grand-mère pendant les dernières années de sa vie.
L'évocation de ce classeur fait surgir devant moi l'image de mon adolescence et d'une mamie, venant sur la pointe des pieds emprunter la machine à écrire, telle une voleuse, et disparaissant aussitôt qu'elle l'avait trouvée sur la pointe des pieds, trop pressée, je le comprends maintenant, de jeter sur le papier les pensées qui s'invitaient dans sa tête.
A l'époque, nous, ses petits enfants, prêtions peu d'intérêt à cette activité. Jusqu'à sa mort, j'étais même convaincue qu'elle mettait essentiellement en forme les recherches généalogiques qu'elle effectuait par ailleurs et pour lesquelles nous étions, reconnaissons le, pas très bon public.
Après que j'eu demandé à ma mère de me le confier, j'ouvris enfin un jour le classeur vert pour découvrir un volume impressionnant de feuillets fins, imprimés recto-verso, numérotés et recouverts de lignes dactylographiées couvrant la presque totalité des pages.
J'y vis, avec un serrement de cœur,le souci d'économie d'une génération habituée à compter, à garder les bouts de fils, de rubans, de papier, à user de tout jusqu'à la corde. Même avec les mots, on ne prenait pas ses aises sur le papier. La densité de la forme se confondit bientôt avec la densité du récit.
Je veux porter témoignage de ce qu'a écrit ma grand-mère pendant toutes ces années. Je sais que ma grand-mère m'accompagne dans ce travail, je sens son visage sur mon épaule.
Je voudrais tellement qu'elle soit fière de moi.
Si j'évoque le littoral atlantique qui a toujours exercé sur moi un attrait puissant, c'est par tendresse pour cette petite fille dont on peut imaginer qu'elle passa la première partie de sa vie dans l'ignorance absolue du charme sauvage de cette côte pourtant toute proche. En ce début de siècle, les distances à parcourir à pied ou à vélo rendaient l'océan inaccessible et invisible aux habitants des terres.
Cette petite fille grandit, se maria et eut quatre enfants. Elle se conforma en cela aux exigences de sont temps et de son milieu paysan qui voyait d'abord en tout être du sexe féminin une génitrice potentielle, dévouée à son foyer et consacrée à une vie de labeur pour les siens.
Mais cette petite fille ne fit pas seulement ce que le contrat social attendait tacitement d'elle...Étouffer ses envies et ses désirs, se réaliser à travers les siens.
Cette vie multiple fut sa richesse, et eut aussi son prix, si tant est, qu'aujourd'hui comme hier, il est toujours difficile pour les femmes, voire impossible pour la plupart, de concilier être pour soi et être pour les autres.
Je suis la deuxième des douze petits enfants de cette petite fille.
J' appris un matin d'hiver, par un coup de fil, l'accident cérébral dont elle fut victime. Elle perdit conscience une fin de journée dans sa salle de bains, ayant juste eu le temps d'appeler sa fille aînée pour lui dire les violentes douleurs qu'elle ressentait dans la tête. Elle s'éteignit une semaine plus tard à l'hôpital, n'ayant pas refait surface de cette absence qui l'emporta à l'âge de 83 ans.
À l'occasion du partage des biens, ma mère fut dépositaire d'un classeur vert amande contenant des écrits dactylographiés accumulés par ma grand-mère pendant les dernières années de sa vie.
L'évocation de ce classeur fait surgir devant moi l'image de mon adolescence et d'une mamie, venant sur la pointe des pieds emprunter la machine à écrire, telle une voleuse, et disparaissant aussitôt qu'elle l'avait trouvée sur la pointe des pieds, trop pressée, je le comprends maintenant, de jeter sur le papier les pensées qui s'invitaient dans sa tête.
A l'époque, nous, ses petits enfants, prêtions peu d'intérêt à cette activité. Jusqu'à sa mort, j'étais même convaincue qu'elle mettait essentiellement en forme les recherches généalogiques qu'elle effectuait par ailleurs et pour lesquelles nous étions, reconnaissons le, pas très bon public.
Après que j'eu demandé à ma mère de me le confier, j'ouvris enfin un jour le classeur vert pour découvrir un volume impressionnant de feuillets fins, imprimés recto-verso, numérotés et recouverts de lignes dactylographiées couvrant la presque totalité des pages.
J'y vis, avec un serrement de cœur,le souci d'économie d'une génération habituée à compter, à garder les bouts de fils, de rubans, de papier, à user de tout jusqu'à la corde. Même avec les mots, on ne prenait pas ses aises sur le papier. La densité de la forme se confondit bientôt avec la densité du récit.
Je veux porter témoignage de ce qu'a écrit ma grand-mère pendant toutes ces années. Je sais que ma grand-mère m'accompagne dans ce travail, je sens son visage sur mon épaule.
Je voudrais tellement qu'elle soit fière de moi.