Quel écrivain pouvait être assez fou pour tenter un exercice aussi périlleux qu'entraîner son lecteur sur les traces d'une nonne ayant renié ses vœux de cistercienne pour se consacrer à sa mission divine : aimer son prochain de toute son âme et... de toute sa chair ?
Qui donc avait tenté le "diable" ? Jusqu'où ?
Avec circonspection, et, soyons honnête, une impatience non dénuée de voyeurisme, je m'attelai donc à la lecture de ce court roman de Jacques Chessex, écrivain suisse au nom ô combien prédestiné !
Le narrateur du récit, adorateur, ami, amant, dernier compagnon de route de l'Abesse Canisia, bien nommée la Sainte, se fait le passeur, dans une aura crépusculaire , de sa confession.
Canisia, que nous suivons dans ses accouplements mystiques dans les bas fonds de Fribourg, véritable cour des miracles où les indigents donnent à ses extases spirituelles l'élan pour se fondre dans le vertige du mystère divin...
C'est beau, très beau.
Personne n'est sali dans cette prose fulgurante qui dit les choses avec une telle exigence et une telle épure qu'on en sort lavé.
La notion de morale, de déviance, de bien, de maĺ est hors champ, les voyeurs en seront pour leurs frais.
Les tenants de la psychanalyse prêts à prendre le raccourci du mysticisme confinant à la folie hystérique ne s'y retrouveront pas non plus.
C'est une lecture qui s'élève au delà des repères, des préjugés, de la thématique où on voudrait l'enfermer.
Paru en 2006, ce livre préfigure les débats actuels sur l'assistance sexuelle en tant qu'activité de soin et de nécessité envers les laissés pour compte du sexe.
En cela, le livre de Jacques Chessex est éminemment moderne.
Il est aussi éminemment plus riche, car il parle d'amour ...
Il fallait bien au moins être Prix Goncourt pour réussir cela...
Extrait où l'Abesse se confie sur sa mission divine,
" Cela se passait dans la douceur. J'avais mes fidèles, mes habitués, comme les filles.
Je savais toujours où les trouver, leurs heures de beuveries, leur rôderies, les haltes où ils mourraient de désespoir d'être au monde.
Ce n'était pas eux qui me cherchaient,c'est moi qui étais en quête de leur pauvre sort.
J'avais mes recoins, mes sans abris, une fois repéré, j'attirais l'homme et je lui donnais sa part.
Certains d'entre eux étaient trop sauvages, ou craintifs pour me suivre jusqu'à l'un de mes lits.
Je leur cédais où ils voulaient, cages d'escaliers, d'immeubles pourris, caves aux portes défoncées, même quelques églises ouvertes la nuit, ou dont ils connaissaient une entrée dérobée pour venir s'y abriter dès l'automne et en hiver.
J'avais mes pauvres, mes errants, mes sans papiers. Fribourgeois perclus d'alcool et d'années de chômage, Africains, Yougoslaves, tout ce que la société repousse à la faim et à l'égout.
J'avais aussi quelques infirmes, avec eux, j'étais plus près de Dieu.
Tu te souviens du cantique du Titanic ?
Tu vas rire si je te dis que je le chantais dans ma tête, chaque fois qu'un bossu, un unijambiste, un pied-bot se roulait sur moi où m'écrasait de bonheur.
Ou que j'écartais les jambes d'un jeune homme qui venait me voir certaines nuits derrière la Cathédrale dans sa chaise roulante, je m'agenouillais, je le prenais dans ma bouche et je l'entendais gémir sur l'air et les mots du cantique, Plus près de Toi mon Dieu, plus près de Toi...
Ensuite je remerciais Dieu de m'avoir permis de faire le bien et d'aimer mon prochain comme moi- même".
Qui donc avait tenté le "diable" ? Jusqu'où ?
Avec circonspection, et, soyons honnête, une impatience non dénuée de voyeurisme, je m'attelai donc à la lecture de ce court roman de Jacques Chessex, écrivain suisse au nom ô combien prédestiné !
Le narrateur du récit, adorateur, ami, amant, dernier compagnon de route de l'Abesse Canisia, bien nommée la Sainte, se fait le passeur, dans une aura crépusculaire , de sa confession.
Canisia, que nous suivons dans ses accouplements mystiques dans les bas fonds de Fribourg, véritable cour des miracles où les indigents donnent à ses extases spirituelles l'élan pour se fondre dans le vertige du mystère divin...
C'est beau, très beau.
Personne n'est sali dans cette prose fulgurante qui dit les choses avec une telle exigence et une telle épure qu'on en sort lavé.
La notion de morale, de déviance, de bien, de maĺ est hors champ, les voyeurs en seront pour leurs frais.
Les tenants de la psychanalyse prêts à prendre le raccourci du mysticisme confinant à la folie hystérique ne s'y retrouveront pas non plus.
C'est une lecture qui s'élève au delà des repères, des préjugés, de la thématique où on voudrait l'enfermer.
Paru en 2006, ce livre préfigure les débats actuels sur l'assistance sexuelle en tant qu'activité de soin et de nécessité envers les laissés pour compte du sexe.
En cela, le livre de Jacques Chessex est éminemment moderne.
Il est aussi éminemment plus riche, car il parle d'amour ...
Il fallait bien au moins être Prix Goncourt pour réussir cela...
Extrait où l'Abesse se confie sur sa mission divine,
" Cela se passait dans la douceur. J'avais mes fidèles, mes habitués, comme les filles.
Je savais toujours où les trouver, leurs heures de beuveries, leur rôderies, les haltes où ils mourraient de désespoir d'être au monde.
Ce n'était pas eux qui me cherchaient,c'est moi qui étais en quête de leur pauvre sort.
J'avais mes recoins, mes sans abris, une fois repéré, j'attirais l'homme et je lui donnais sa part.
Certains d'entre eux étaient trop sauvages, ou craintifs pour me suivre jusqu'à l'un de mes lits.
Je leur cédais où ils voulaient, cages d'escaliers, d'immeubles pourris, caves aux portes défoncées, même quelques églises ouvertes la nuit, ou dont ils connaissaient une entrée dérobée pour venir s'y abriter dès l'automne et en hiver.
J'avais mes pauvres, mes errants, mes sans papiers. Fribourgeois perclus d'alcool et d'années de chômage, Africains, Yougoslaves, tout ce que la société repousse à la faim et à l'égout.
J'avais aussi quelques infirmes, avec eux, j'étais plus près de Dieu.
Tu te souviens du cantique du Titanic ?
Tu vas rire si je te dis que je le chantais dans ma tête, chaque fois qu'un bossu, un unijambiste, un pied-bot se roulait sur moi où m'écrasait de bonheur.
Ou que j'écartais les jambes d'un jeune homme qui venait me voir certaines nuits derrière la Cathédrale dans sa chaise roulante, je m'agenouillais, je le prenais dans ma bouche et je l'entendais gémir sur l'air et les mots du cantique, Plus près de Toi mon Dieu, plus près de Toi...
Ensuite je remerciais Dieu de m'avoir permis de faire le bien et d'aimer mon prochain comme moi- même".