dimanche 8 décembre 2013

Magistral... Focus - Arthur Miller

Jusqu'à très récemment, Arthur Miller n'était pour moi que cet intellectuel américain, grand escogriffe à lunettes, époux distant et éphémère d'une Marylin amoureuse et délaissée.
Cette année, j'ai acheté un de ces livres, par hasard, un jour de pluie, dans la librairie de quartier où je passais après ma pause déjeuner.

Un choc.

Laurent Newman, anonyme entre les anonymes dans le Brooklyn des années 1940, n'aspire qu'à poursuivre une petite vie tranquille et disciplinée, sa seule façon d'être au monde...

Mais, dans une Amérique gangrenée par un antisémitisme larvé, où le Saint- Louis et ses centaines de passagers juifs épargnés par le bourreau nazi ne peuvent débarquer , la malédiction rôde...
Après maintes reculades car il en pressent les conséquences , il consent à s'affubler de lunettes loupes destinées à corriger une myopie invalidante.
Les traits du visage sont accentués, le nez semble un peu plus fort, le front un peu plus fuyant, Mr Newman est regardé, Mr Newman est soupçonné, ostracisé, mis à la porte de son emploi.

Au secours ! Je ne suis pas juif ! Je suis comme vous ! Je n'en suis pas ! Je ne veux pas en être !

Newman le pleutre, le monsieur qui ne veut pas d'ennuis est pris pour ce qu'il n'est pas. Il n'est pas méchant, Mr Newman, mais cette histoire, ce n'est pas possible, ça n'est pas pensable.
Nous sommes entrainés dans la spirale de son exclusion infernale et des sentiments qui accompagnent sa descente aux enfers.
Appréhension, peur, paralysie, évitement, déni, désarroi, dépression, angoisse jusqu'au dénouement final où Mr Newman trouvera la délivrance dans la confrontation avec ses préjugés et l'empathie qu'il laissera monter en lui.

Mr Finkelstein, voisin évité et admiré pour sa droiture et son intégrité, sera le miroir lui permettant de se tenir droit et de devenir un homme en affrontant par les coups, ceux qui causent son tourment.
La violence cathartique comme ultime et bienfaisante issue.
Fort, inévitable...et dérangeant.

Livre magistral qui nous renvoie à notre part d'ombre, comme l'évoque un texte d'Arthur Miller paru en 1984 dans The New York Times Book Review où il éclaire,depuis son roman, les situations d'exclusion des individus étrangers dans tout corps social constitué.
"...La vision que Focus donne de l'antisémitisme a le même caractère extrêmement social : aux yeux de l'antisémite, le Juif est le symbole même d'une propension à se tenir à l'écart doublée d'une habileté à profiter du système que les populations indigènes réprouvent et craignent.
Je n'ai pour ma part qu'une seule chose à ajouter à tout cela :  si une telle attitude perturbe ces gens, c'est qu'ils sentent la présence, tapie au fond d'eux mêmes,de quelque chose de semblable, qu'ils ont eux mêmes conscience d'un sentiment de non appartenance, d'un individualisme anti-social sans remède, en conflit avec le désir de faire partie d'un tout mystique et de le servir, de participer à la sublime essence nationale...
C'est pourquoi s'attendre à voir l'antisémitisme véritablement disparaître serait trop optimiste.

Le miroir de la réalité, celui du monde sans beauté, renvoie une image qui n'est guère rassurante;
Il faut beaucoup de force de caractère pour le regarder en face et y découvrir son propre visage"

En 2013, en ces temps de détresse économique, où les attaques se concentrent sur d'autres populations issues de l'immigration, l'histoire se répète.
A ne pas oublier et à méditer.